Fin de vie. Euthanasie, suicide assisté... Quel bilan aux Pays-Bas, en Belgique et en Suisse ?

Pierre Wolf-Mandroux

Par  Pierre Wolf-Mandroux

Publié le 30/04/2024 à 15h31
Mise à jour le 30/04/2024 à 16h08

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Fin de vie
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Cet article est paru dans le magazine Le Pèlerin - Abonnez-vous

Alors que l'examen du projet de loi français a débuté, quelles leçons tirer des législations sur l'euthanasie ou le suicide assisté déjà appliquées en Belgique, en Suisse et aux Pays-Bas ? Tour d'horizon.

Le contexte

Le projet de loi français relatif à la fin de vie, présenté en conseil des ministres le 10 avril, soulève de nombreuses questions éthiques et pratiques. Nous avons choisi d'examiner quatre points de tension, à la lumière de ce que les législations étrangères peuvent nous apprendre sur ces sujets.

Pour disposer d'un recul suffisant, nous nous concentrons sur les deux pays qui ont légalisé l'euthanasie depuis plus de vingt ans, les Pays-Bas (2001) et la Belgique (2002). Ainsi que sur le premier pays à avoir toléré l'assistance au suicide en « l'absence de mobile égoïste », la Suisse (dès 1942)*.

Le projet de loi français veut légaliser les deux possibilités. Mais il n'est pas définitif et évoluera certainement.

* Le suicide assisté a été légalisé en Italie en 2019, en Allemagne en 2020, au Portugal en 2023 .

1. Le discernement du patient

  • Ce que dit le projet de loi français

« Pour accéder à l'aide à mourir, une personne doit répondre aux conditions suivantes : avoir au moins 18 ans ; être atteinte d'une affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme ; présenter une souffrance physique ou psychologique liée à cette affection qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable lorsque la personne ne reçoit pas ou a choisi d'arrêter de recevoir des traitements ; être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. »

« Les personnes dont une maladie psychiatrique altère gravement le discernement lors de la démarche ne peuvent pas être regardées comme manifestant une volonté libre et éclairée. »

  • Ce qui se fait ailleurs

En Belgique, tout majeur ou « mineur émancipé » peut réclamer par avance une euthanasie en prévision du jour où il sera dans un état d'inconscience « irréversible », avec une pathologie grave et incurable. Initialement valable cinq ans, cette « directive anticipée d'euthanasie » a une durée illimitée depuis la modification de la loi en 2020. L'oncologue belge Catherine Dopchie, responsable d'une unité de soins palliatifs à Tournai et opposée à l'euthanasie, souligne que la directive soulève des problèmes spécifiques : « Pour une personne devenue démente, c'est à un tiers d'interpréter le bon moment pour l'euthanasie.

Il ne se rend parfois pas bien compte de la résilience de ces patients, qui peuvent vivre des moments heureux. » Le ministère belge de la Santé a fait la promotion de cette directive en 2022 dans un clip incitant des jeunes à la remplir. « Les soins palliatifs, c'est long et difficile », y soupirait une jeune femme à propos de sa tante malade.

Aux Pays-Bas, la directive anticipée doit être écrite à une étape de la maladie où la personne possède sa lucidité. La loi n'exige pas que cette directive soit renouvelée, mais elle peut être rejetée par un soignant si elle n'a pas été mise à jour depuis longtemps.

Philippe Lohéac, délégué général de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), remarque que le discernement reste complexe à définir : « Quelqu'un en fin de vie et en très mauvaise santé a presque toujours une altération du discernement. Il existe une démence fronto-temporale dans 20 % des cas de la maladie de Charcot. Les traitements sédatifs, le stress, les traumatismes liés aux violences sexuelles ou familiales altèrent parfois le discernement. » Pour cette raison, il regrette que le projet de loi français reste silencieux sur les directives.

S'agissant des malades psychiques, la n'avait pas voulu en 2002 que ces derniers puissent demander l'euthanasie. Les choses ont changé depuis. En effet, 46 % des Belges euthanasiés pour affections psychiatriques ou démence souffraient uniquement de dépression1 . Un cas a beaucoup fait parler : celui d'une femme de 23 ans traumatisée par les attentats à Bruxelles, qui a reçu l'euthanasie en 2022. Philippe Lohéac déplore, ici, un raccourci : « Si vous lisez les documents sur son cas, ses problèmes psychologiques étaient bien antérieurs à l'attentat. Il n'y a pas de lien direct. »

Les malades psychiatriques peuvent aussi recevoir l'euthanasie aux Pays-Bas si leur souffrance est « insupportable et irrémédiable » - des critères ouverts à l'interprétation. Ces derniers sont de plus en plus nombreux à recevoir l'euthanasie. Ils étaient 115 en 20212 . Les Suisses, eux, n'acceptent aucun patient aux antécédents psychiatriques, précise Philippe Lohéac, de l'ADMD. Il le déplore : « C'est gênant car un Français qui se suicide et se loupe, ce qui est assez fréquent, est presque toujours envoyé dans un service psychiatrique. Il ne peut plus ensuite aller en Suisse pour demander une assistance au suicide. »

2. La clause de conscience des soignants

  • Ce que dit le projet de loi français

« L'administration de la substance létale est effectuée par la personne elle-même. » Lorsque celle-ci n'est pas en mesure de le faire, « l'administration est effectuée, à sa demande, par une personne volontaire qu'elle désigne (…), ou par le professionnel de santé présent. Le professionnel de santé qui ne souhaite pas participer (…) doit informer, sans délai, la personne de son refus et lui communiquer le nom de professionnels de santé susceptibles d'y participer. »

  • Ce qui se fait ailleurs

Aucun des trois pays étudiés n'a aboli la clause de conscience pour les soignants qui estiment l'acte de donner la mort contraire à leur vocation médicale. « C'est normal et souhaitable, souligne Philippe Lohéac. Aucun des médecins pratiquant une aide active à mourir ne dit que c'est une partie de plaisir. Ils le font par nécessité à l'égard du souffrant. Tous indiquent qu'ils ont besoin d'un temps de récupération ensuite, car cela reste un geste grave. »

En Belgique, depuis une modification de la loi en 2020, le médecin qui refuse cet acte est obligé d'orienter le patient vers un centre ou une association « spécialisé en matière de droit à l'euthanasie », dans les quatre jours. « Notre clause de conscience est de plus en plus fragile », regrette l'oncologue Catherine Dopchie, déplorant la pression exercée contre les soignants réticents par leur hiérarchie, « qui parfois les sanctionne ou les met au ban ». La pression vient aussi, selon elle, de collègues qui pratiquent l'euthanasie et se plaignent de devoir toujours faire le « sale boulot » à leur place.

Pour prévenir les assauts contre la clause de conscience, les Pays-Bas sont un bon exemple, juge Theo Boer, professeur d'éthique de la santé à l'université de Groningue : « Ici, l'euthanasie n'est ni un droit du patient, ni un devoir du médecin. » Personne ne peut imposer à un soignant de pratiquer l'euthanasie. Le soignant ne doit pas non plus trouver un collègue susceptible d'accepter, comme le prévoit - à ce stade - la loi française. La loi de 2001 n'a pas strictement « dépénalisé » l'euthanasie puisqu'une peine allant jusqu'à douze ans de prison est toujours prévue dans le Code pénal pour celui qui ôte la vie à quelqu'un à sa demande. Sauf, précise le texte, si les médecins respectent certains critères. Cette circonvolution est une manière de ne pas faire de cette demande un droit. Elle n'est théoriquement pas un droit non plus en Belgique. Mais cette distinction s'y est fragilisée avec le temps.

3. Le choix du lieu

  • Ce que dit le projet de loi français

« Dans des conditions convenues avec le médecin ou l'infirmier, l'administration de la substance létale peut être effectuée, à la demande de la personne, en dehors de son domicile. » Le président Macron a dit, le 10 mars, ne vouloir exclure aucun lieu, « domicile, Ehpad ou établissement de soins ». Mais il reviendra aux soignants « de recommander le lieu plus approprié ».

  •  Ce qui se fait ailleurs

La question du lieu ne s'est pas vraiment posée aux Pays-Bas pour une raison culturelle, souligne Theo Boer : « Les Néerlandais meurent presque toujours à la maison. Très peu de cas d'euthanasie ont lieu à l'hôpital ou en maison de retraite, aucun dans les services psychiatriques. » Ces établissements peuvent refuser la pratique dans leurs murs.

En Belgique, depuis la réforme de 2020, un hôpital ou une maison de retraite ne peut plus refuser qu'une euthanasie soit réalisée dans ses murs ; et doit accepter un médecin de l'extérieur si aucun de ses soignants ne veut la pratiquer.

En Suisse, l'assistance au suicide a majoritairement lieu dans les locaux des associations à but non lucratif dédiées à cette activité. Cela peut aussi se faire à domicile. Les cantons de Vaud (depuis 2012), Neuchâtel (2014) et Genève (2018) ont obligé les hôpitaux et maisons de retraite d'intérêt public à accepter l'assistance au suicide dans leurs murs, sous peine de perdre des subventions étatiques. En théorie, leurs soignants ne sont pas obligés d'y participer.

4. Le contrôle des actes effectués

  • Ce que dit le projet de loi français

« Une commission de contrôle et d'évaluation assure le contrôle, le suivi et l'évaluation de l'application afin d'en informer annuellement le Gouvernement et le Parlement et de leur proposer des recommandations. » En cas de manquements, « la commission peut saisir la chambre disciplinaire de l'ordre compétent. La composition sera déterminée par décret en Conseil d'État. »

  • Ce qui se fait ailleurs

La Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie en Belgique est souvent critiquée. D'abord parce que tous les cas ne lui parviennent pas : 42 % des euthanasies francophones et 27 % de celles réalisées en Flandres ne sont pas déclarées (étude de l'université néerlandophone de Bruxelles, la VUB, et de l'université de Gand, 2012). Ensuite parce que sur 14 573 euthanasies pratiquées entre 2002 et 2016, un seul dossier litigieux a été transmis à la justice par la Commission.

La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la Belgique en 2022 pour son système de contrôle défaillant. Le médecin qui avait pratiqué une euthanasie sur une femme (contestée par son fils, Tom Mortier) était membre de la Commission de contrôle et s'était prononcé sur la recevabilité de son propre acte. Il aurait dû se dessaisir. « Le médecin en question n'a pas reconnu ce cas car les dossiers sont anonymisés. Il s'est prononcé en toute bonne foi », le défend Philippe Lohéac, de l'ADMD. Il balaie les critiques sur la Belgique : « S'il y a si peu de mauvais cas, c'est que les choses sont bien faites. On ne peut pas considérer les médecins comme des délinquants en puissance. Ils ont une éthique et une carrière à consolider. »

« Les Pays-Bas ont un meilleur système de contrôle que la Belgique », pense Theo Boer, qui fut membre d'un comité régional de contrôle de l'euthanasie aux Pays-Bas de 2005 à 2014. Parce qu'il n'y a pas de militants pro-euthanasie dans ces comités comme en Belgique, dit-il. Et parce que les médecins qui pratiquent l'euthanasie « doivent envoyer un rapport plus complet qu'en Belgique ».

Davantage de cas sont ainsi jugés problématiques aux Pays-Bas, « entre cinq et dix par an ». Un procureur public contacte les médecins pour leur donner un avertissement. Ils sont tenus de corriger leurs erreurs. L'avertissement est efficace, estime Theo Boer. « Nous n'avons eu qu'un cas réel de poursuite judiciaire. » Une femme avait rédigé une directive. Ses enfants ont demandé l'euthanasie pour elle lorsqu'elle est arrivée à un stade avancé d'Alzheimer. Le jour de l'acte, elle s'est débattue. Il a fallu l'immobiliser pour qu'il ait lieu. L'affaire, dont la commission de contrôle avait pris connaissance, a fini devant la Cour suprême. Celle-ci a jugé le 21 avril 2020 que le médecin n'avait pas mal agi. Et recommandé de donner un sédatif puissant à la personne à l'avenir.

En Suisse, après un suicide assisté, l'association qui encadre la pratique doit appeler la police criminelle, car il s'agit d'un décès que la législation classe par défaut comme « mort violente ». Des relevés sont en principe envoyés au procureur du canton, qui dépêche un médecin légiste pour s'assurer qu'il n'y a pas eu de contrainte. Dans les faits, ce processus n'est respecté que dans un cas sur deux. « Sur les suicides déclarés entre 1985 et 2013, un peu moins de la moitié seulement ont fait l'objet d'un examen médico-légal », regrettait un rapport du Fonds national suisse de la recherche scientifique en 2018.

1) Étude publiée par S. Dierickx, L. Deliens, J. Cohen et K. Chambaere en 2017.

2) Étude publiée par S. van Veen, G. Widdershoven, A. Beekman et N. Evans en 2022.

Quel bilan dans les pays voisins ?
© illustrations Nadia Diz Grana

Le Calendrier législatif en france

Avril

Le 10: Présentation du projet de loi en conseil des ministres.

Du 22 au 26: Auditions menées par la commission spéciale de l'Assemblée nationale.

Mai

Du 7 au 27: Le député Olivier Falorni, rapporteur général, remet son rapport. Dépôt des amendements au projet de loi. Début du débat à l'Assemblée sur le texte remanié.

Juin-Décembre

Suite des navettes parlementaires entre l'Assemblée et le Sénat.

Des euthanasies en hausse

Avec le temps, les euthanasies ont augmenté aux Pays-Bas et en Belgique, car les critères se sont progressivement élargis.

1 432 déclarations d'euthanasie ont été enregistrées en Belgique en 2012. Elles étaient 2 699 en 2021 (selon la Commission de contrôle). Aux Pays-Bas, 4 188 personnes sont mortes d'euthanasie en 2012. Elles étaient 8 720 en 2022 (Comités régionaux). L'euthanasie représente 5 % des décès aux Pays-Bas et en Belgique, contre 0,6 % pour les suicides assistés en Oregon (États-Unis) et 1,9 % en Suisse, selon la note d'Yves-Marie Doublet*, juriste et chargé d'enseignement à l'espace éthique de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris.

« Il reste beaucoup plus difficile pour un patient de passer lui-même à l'acte que de faire confiance à un médecin pour cet acte », estime Theo Boer, professeur d'éthique de la santé à l'université de Groningue (Pays-Bas). Dans l'Oregon (États-Unis), un peu plus d'un tiers des personnes qui se voient prescrire une pilule mortelle ne l'utilise pas. « Comme si l'essentiel pour elles était que ce droit leur soit reconnu sans qu'elles décident de le mettre en œuvre », écrivait le Dr Dominique Grouille en 2019, dans La Revue du Praticien .

* Suicide assisté, euthanasie : le choix de la rupture et l'illusion d'un progrès, Fondation pour l'innovation politique, mars 2024.

Euthanasie: Intervention directe d'un tiers pour provoquer la mort.

Suicide assisté: Acte consistant à prendre, de sa propre initiative, un produit létal prescrit par un médecin.

Commentaires

  • 06/05/2024 10:30 Répondre

    Ixel59170x

    Bonjour
    Le problème est toujours le même avec les lois bio-éthiques : au début la loi est équilibrée avec de nombreux garde-fous mais avec le temps, l'on s'aperçoit que toutes les limites sautent et que l'on retrouve avec des lois beaucoup plus laxistes qu'à l'origine : confère la loi sur l'avortement.
    De plus la loi Claeys Léonetti permet beaucoup de choses comme l'interdiction de l'acharnement thérapeutique, il faudrait déjà commencer par contrôler que cette loi soit correctement appliquée.
    " Tu ne tueras point "
    Cordialement
    Dr Xavier Lepoutre
  • 02/05/2024 11:00 Répondre

    pdge

    pour la notation
  • 02/05/2024 08:36 Répondre

    pdge

    Je viens de vous envoyer un commentaire
    J'espère qu'il sera publié dans le prochain pélerin, sinon cela ne sert à rien...
    Soyons courageux pour porter notre baptème
    Je reste à votre disposition pour tout échange
    • 02/05/2024 11:50

      La rédaction

      Bonjour, merci pour votre témoignage. La publication dans le journal papier des courriers de nos lecteurs peut parfois être limitée par la place dont nous disposons dans nos pages. Nous faisons notre possible pour partager vos réflexions. Soyez toutefois assuré de notre lecture attentive. Merci de votre confiance, n’hésitez pas à nous écrire à nouveau, Le Pèlerin se nourrit au quotidien de vos retours. Belle journée
  • 02/05/2024 08:26 Répondre

    pdge

    Merci pour votre analyse des situations "ailleurs"
    la loi française est une production macroniste, c'est à dire qu'elle se base sur un mensonge (comme toujours, ce qu'il appelle le nouveau monde, c'est à dire ce monde qui n'a rien à voir avec l'humanité).
    En effet vous écrivez au §1 : "soit insupportable lorsque la personne ne reçoit pas ou a choisi d'arrêter de recevoir des traitements". Il est évident que si vous arrêtez toute sédation, la souffrance peut être.
    Donc la loi définit un "assassinat" des personnes
    Et vous pensez que les personnes désirent être tuées?
    Alors parlons avec de vrais mots; La loi prévoit le meurtre de personnes qui manquent d'amour.
    Tout le reste n'est que bavardages qui veulent exonérer de responsabilités ceux qui pourraient s'adonner à ce mépris de notre humanité
    Je précise que j'ai accomagné 3 frères, un beau frère et une soeur et qu'aucun n'a demandé à être euthanasié; il est vrai qu'ils ont été entourés de l'amour soignant de leurs proches et des services hospitaliers
    On nous ment...
    L'humanité est à respecter, ce que Macron ne fait pas
    Enfin, deux précisions:
    - l'épiscopat était informé dès mars 2022 des intentions "assassines" de Macron, par Macron lui-même; ils se sont tus parce qu'on était en campagne présidentielle, à la demande de Macron.
    -et les soins palliatifs, que l'on continue à refuser; c est le cas dans mon département!!! on nous ment
    j'invite tous les baptisés à aimer leur prochain et à l'accompagner dans les derniers instants de sa vie (oui, la mort fait partie de la vie, c'est la dernière étape, et donner la mort est tuer la vie...)
    Merci d'avoir lu
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